Gaston (au milieu de nulle part, Paris 20e, 30 juin)

Il est abandonné là, tout près de la voie ferrée de la petite couronne, au niveau de l’ancienne gare de Ménilmontant. Bien sûr je l’appelle Gaston tant sa filiation avec les sculptures de Gaston Chaissac est évidente. Mais si, regardez bien, c’est évident. Regardez bien Gaston. Là, tout seul, au milieu de nulle part car j’ai beau chercher, pas de nom de voie. L’histoire de Gaston est cruelle. Vous êtes certains que vous voulez savoir ? Gaston c’est un ouvrage de fin d’année en travail manuel, en éducation artistique, en expression plastique, en quelque chose comme ça. Gaston sort tout droit d’une classe de CE. Ou de CM mais ça c’est moins sûr. Fièrement rapporté à la maison par son auteur. Lâchement abandonné sur le chemin du retour de l’école par de parents blasés des colliers de nouilles et autres cartes de fêtes des pères. Gaston va finir ses jours dans une décharge. À moins que son concepteur ne profite d’un défaut de vigilance de ses parents pour venir le rechercher. Il le cachera au fond d’une boîte à trésors. Car il est précieux, Gaston. De temps en temps il le regardera en cachette. Car il est inspirant, Gaston. Et puis un jour, avec toute cette inspiration que lui aura donnée Gaston, il commencera à dessiner sur le fond des assiettes, à faire des yeux et une bouche aux balais, à dessiner d’autres trucs que la contemplation de Gaston lui aura soufflé à l’oreille. Bien plus tard, il y aura une grande exposition rétrospective à Beaubourg avec une ribambelle d’interviews à la clé. Toutes commenceront par une question sur Gaston. Pourquoi Gaston ? « Parce que c’est grâce à Gaston tout ça. Jamais je ne me serais mis à peindre si je n’étais pas allé rechercher Gaston dans la rue avec la peur qu’il ne soit plus là, que j’arrive après le camion poubelle. C’est pourquoi Gaston a toute sa place dans cette exposition. » Je laisse Gaston à son nulle part avec l’infime espoir que ce rêve se réalisera. Mais avec la quasi-certitude que Gaston va finir à la décharge. Je vous avais dit que l’histoire de Gaston était cruelle.